•  Chapitre XXI : <st1:personname productid="La Cl←mence" w:st="on">La Clémence</st1:personname> du Roi Marc

    Le roi ceint son épée, monte en selle, se dirige vers <st1:personname productid="la Croix Rouge." w:st="on">la Croix Rouge.</st1:personname> Tandis qu’il chevauche, il repasse dans son esprit la trahison de Tristan, et comment il lui a ravi Iseult au clair visage. Il jure que, s’il les trouve couchés ensemble, il leur fera payer le prix de sa honte en les transperçant de son épée. A <st1:personname productid="la Croix Rouge" w:st="on">la Croix Rouge</st1:personname>, le veneur l’attendait.<o:p></o:p>

    « Conduis-moi au plus vite jusqu’à la hutte où tu les as surpris. »<o:p></o:p>

    Ils entrèrent dans la forêt. L’espion allait devant ; le roi le suivait serrant son épée dans sa main droite. Enfin le forestier murmura : « Roi, nous approchons. »<o:p></o:p>

    Il prit le cheval du roi par la bride, tint l’étrier pendant qu’il descendait et attacha l’animal au tronc d’un pommier vert. Ils avancèrent à pas feutrés vers la loge fleurie qu’ils apercevaient devant eux. Avant d’y entrer, le roi dégrafa son manteau ; il avait ainsi le bras libre pour manier son épée, persuadé qu’il allait, sans tarder, l’employer à sa vengeance. Par deux fois il jura à mi-voix : «Que je meure su je ne les tue ! » Au forestier, il ordonna de s’éloigner et de l’attendre près de son cheval, puis il s’avança jusqu’au lit de feuilles, l’épée haute, et considéra un instant les dormeurs immobiles. Va-t-il les frapper ? Mais voici que son bras, tremblant de colère retombe lentement : il a vu que leur lèvres de se touchaient point, qu’ils avaient gardé leurs vêtements et que leurs corps étaient séparés par l’épée nue de Tristan, la même qui s’était ébréchée naguère dans le crâne du Morholt. « Dieu, se dit-il en lui-même, que vois-je ici ? Ai-je le droit de les tuer ? Depuis deux ans qu’ils vivent ensemble dans ce bois, s’ils s’aimaient de fol amour, dormiraient-ils tout vêtus ? Auraient-ils placé entre eux cette épée nue ? Les clercs les plus savants nous enseignent qu’une épée nue entre deux corps est gardienne et garante de chasteté. Ne vois-je pas que leurs lèvres sont désunies ? Non, je ne les tuerai pas ; ce serait grand péché de les frapper alors qu’ils reposent sans défense. Et si je les éveillais, qui sait si Tristan, brusquement tiré du sommeil, ne dirigerait pas contre moi son épée ? L’un de nous deux pourrait être tué. On en parlerait longuement dans le pays et ce ne serait à l’honneur ni de l’un ni de l’autre. Mais je vais faire en sorte qu’à leur réveil, ils sachent de science certaine que je les ai découverts endormis dans cette hutte ; ils sauront que j’aurais pu les tuer si je l’avais voulu et que je les ai pris en pitié, leur accordant mon pardon et ma clémence. »<o:p></o:p>

    Le roi sent sa colère s’apaiser peut à peu ; il souhaite du fond du cœur se réconcilier avec sa femme et son neveu. Alors, il retire doucement du doigt amaigri de la reine la bague d’or, sertie d’une émeraude, qu’il lui avait donnée pour ses noces ; il glisse à sa place, sans qu’elle n’en sente rien, l’anneau dont Iseult lui avait fait présent. « Puisse-t-elle comprendre, par cet échange de nos anneaux, que je lui garde ma foi et mon amour comme au premier jour de nos épousailles ! » Puis, se penchant à nouveau, il saisit lentement par le pommeau l’épée de Tristan qui gisait entre les deux corps et il met la sienne à la place. <o:p></o:p>

    « Beau neveu, par l’échange que je fais de nos épées, je te rends ma confiance et mon amitié comme au jour où je te revêtis de tes armes quand tu te préparais à affronter le Morholt. »<o:p></o:p>

    Au moment où il sortait de la loge, Marc vit un trou dans le clayonnage de branchages et de rameaux qui en formait le toit ; un chaud rayon pénétrait par cette étroite ouverture et venait éclairer le visage de la reine qui resplendissait dans la pénombre. <o:p></o:p>

    Il prit ses gants royaux, parés d’hermine, et il les disposa dans le feuillage pour la défendre de l’ardeur du soleil. « Que ces gants, symboles de la puissance royale, vous soient un gage, belle Iseult, que je vous prends comme naguère sous ma protection et ma sauvegarde ! »<o:p></o:p>


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  •  Chapitre XV : Marc juché dans le Grand Pin

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    Le nain avait dit vrai : le roi n’attendit guère. Du haut de l’arbre, Marc vit Tristan franchir la palissade et sauter dans le verger : il vint droit à la fontaine et y jeta des copeaux, gravés de lettres, qui ne tardèrent pas à courir, légers, dans le canal à travers le jardin et vers la chambres des femmes. Mais Tristan, en se penchant sur le bassin de marbre pour en jeter d’autres, vit soudain, à la clarté de la lune, le visage de son oncle qui se reflétait, encadré par le feuillage, dans le miroir d’eau tranquille. En y regardant de plus près, il distingua aussi, parmi les branches, l’arc, déjà garni d’une flèche, que le roi tenait dans sa main. Ah ! s’il avait pu arrêter les copeaux dans leur fuite ! Mais non ! dans la chambre des femmes, Iseult épie leur venue et va bientôt les voir glisser au fil de l’eau. Voilà qu’elle franchit la porte de sa chambre et vient dans le verger, agile et cependant prudente, observant de côté et d’autre pour voir si elle n’était pas épiée. Or, Tristan, ce soir-là, ne vient pas à sa rencontre comme les autres nuits il ne la regarde même pas, mais il reste immobile, les yeux tournés vers l’eau du bassin, comme pour lui faire comprendre qu’il y a là quelque chose d’insolite. Cette attitude étrange de laisse pas de surprendre Iseult, elle tourne elle aussi ses regards vers la surface de l’eau et n’a pas de peine à y découvrir à son tour le reflet du visage inquiet et tourmenté de son époux. Elle s’avise alors d’une ruse bien féminine, car elle se garde de lever les yeux vers les branches de l’arbre et, afin de tirer Tristan d’embarras, s’arrange pour parler la première : « Sire Tristan, quelle folie vous prend de me mander à pareille heure ? Par  Celui qui fit le ciel et la terre, ne m’appelez plus, ni de jour ni de nuit, car, cette fois-là, je ne viendrais point. Vous le savez bien pourtant : le roi s’imagine que je vous aime de fol amour. Les barons félons lui font accroire que vous, qui êtes le rempart de son honneur, vous le bafouez sans vergogne. Ne vérité, je préférerais être brulée vive et que ma cendre fût dispersée ai vent plutôt que d’aimer un autre homme que mon seigneur. Non, Tristan, ne me mandez plus sous aucun prétexte : je n’oserais ni ne pourrais venir ; si le roi apprenait notre entrevue cette nuit, il me donnerait la mort, écartelée à quatre chevaux. Certes, vous m’êtes cher parce que vous êtes son neveu. J’ai appris de ma mère qu’il me faudrait aimer les parents de mon époux : j’observe ce précepte. Et je pense qu’une femme n’aimerait pas vraiment son seigneur si elle n’aimait également ses parents et ses proches alliés. Mais je m’en vais, car je m’attarde trop ! <o:p></o:p>

    _ Dame, pour l’amour de Dieu, écoutez-moi ! En bonne foi, à plusieurs reprises, j’ai cherché à vous rencontrer. Depuis que je suis banni de la demeure du roi, je ne sais où vous parler. J’ai grand deuil des soupçons que mon oncle fait peser sur moi : pourquoi faut-il qu’il ajoute foi à de telles calomnies ? Pourquoi faut-il qu’il croie les mensonges de ces gens que l’on a vus muets et tremblants devant le défi du Morholt ? Faites-moi la grâce, je vous en prie, de me justifier vous-même auprès de votre époux ! <o:p></o:p>

    _ Ma foi, seigneur, que m’allez-vous demander ? De le convaincre de votre loyauté ? De vous obtenir son pardon ? Ce serait provoquer en vain la colère du roi ! Pourtant, sachez bien que s’il vous pardonnait, beau sire, et qu’il oubliât sa colère, j’en serais pleine de liesse. Mais je m’en vais, car j’ai grand-peur que quelqu’un ne nous ait vu venir ici. »<o:p></o:p>

    Tristan retient encore la reine et la supplie d’intercéder pour lui auprès de Marc : « Puisque le roi me hait si fort, je partirai. Mais obtenez au moins du roi qu’il me donne de quoi racheter mes armes et mon cheval que j’ai dû mettre en gage afin de pouvoir subsister. <o:p></o:p>

    _ Par Dieu, Tristan, je m’émerveille que vous osiez me faire semblable requête. Voulez-vous donc me perdre ? » Elle s’éloigne alors, fière et digne. Tristan, feignant une vive émotion et comme chancelant, s’appuie sur le perron de marbre et dit tout haut : « Ah ! Dieu, je n’aurais jamais pensé faire un jour telle perte ni m’exiler en telle pauvreté. Las ! Je vais partir sans armes ni cheval, car j’ai mis en gage tout mon harnais et ne puis le racheter. Dieu, tu t’es détourné de moi ! Quand je serai en terre étrangère, si j’entends dire qu’un roi cherche des soudoyers pour une guerre je n’oserai souffler mot : homme nu n’a nul lieu de parler. Ah ! bel oncle, il faut que tu me connaisses bien mal pour me soupçonner ainsi de trahison ! Tu me prêtes une attitude qui est à l’opposé de mes sentiments. »<o:p></o:p>

    Le roi, dans les branches de l’arbre, se réjouit naïvement de la fidélité d’Iseult et de la loyauté de Tristan : il s’irrite contre les délateurs : « Cette fois, fait-il, je vois bien que le nain ne m’a que trop leurré : c’est pour ma plus grande confusion qu’il m’a fait monter en cet arbre. De mon neveu il m’a dit mensonge ; pour cela je le ferai pendre et aussi pour m’avoir fait concevoir de l’aversion envers ma femme. J’ai agi comme un fol, mais celui qui m’y a poussé n’attendra pas longtemps son châtiment. Si je puis tenir ce nain odieux, je lui ferai finir ses jours par le feu. » Il se répète en son cœur qu’il a foi en sa femme : il refusera de croire à l’avenir ceux qui tentent de la diffamer. Jamais, il n’ôtera sa confiance à Tristan et à Iseult : il les laissera de nouveau, en la chambre royale, aller et venir ensemble à leur guise.<o:p></o:p>

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  •  Extrait: « J’en étais innocent »

    J'étudiais un jour seul ma leçon dans la chambre contiguë à la cuisine. La servante avait mis sécher à la plaque les peignes de Mlle Lambercier. Quand elle revint les prendre, il s'en trouva un dont tout un côté de dents était brisé. A qui s'en prendre de ce dégât ? personne autre que moi n'était entré dans la chambre. On m'interroge : je nie d'avoir touché au peigne. M. et Mlle Lambercier se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent ; je persiste avec opiniâtreté ; mais la conviction était trop forte, elle l'emporta sur toutes mes protestations, quoique ce fût la première fois qu'on m'eût trouvé tant d'audace à mentir. La chose fut prise au sérieux ; elle méritait de l'être. La méchanceté, le mensonge l'obstination parurent également dignes de punition ; mais pour le coup ce ne fut pas par Mlle Lambercier qu'elle me fut infligée. On écrivit à mon oncle Bernard ; il vint. Mon pauvre cousin était chargé d'un autre délit, non moins grave : nous fûmes enveloppés dans la même exécution. Elle fut terrible. Quand, cherchant le remède dans le mal même, on eût voulu pour jamais amortir mes sens dépravés, on n'aurait pu mieux s'y prendre. Ainsi me laissèrent-ils en repos pour longtemps.
    On ne put m'arracher l'aveu qu'on exigeait. Repris à plusieurs fois et mis dans l'éclat le plus affreux, je fus inébranlable. J'aurais souffert la mort, et j'y serais résolu. Il fallut que la force même cédât au diabolique entêtement d'un enfant, car on n'appela pas autrement ma constance. Enfin, je sortis de cette cruelle épreuve en pièces, mais triomphant.
    Il y a maintenant près de cinquante ans de cette aventure, et je n'ai pas peur d'être aujourd'hui puni derechef pour le même fait ; et bien, je déclare à la face du Ciel que j'en étais innocent, que je n'avais ni cassé, ni touché le peigne, que je n'y avais pas même songé. Qu'on ne me demande pas comment ce dégât se fit : je l'ignore et ne puis le comprendre ; ce que je sais très certainement, c'est que j'en étais innocent. […] 

     Là fut le terme de la sérénité de ma vie enfantine. Dès ce moment je cessai de jouir d'un bonheur pur, et je sens aujourd'hui même que le souvenir des charmes de mon enfance s'arrête là. Nous restâmes encore à Bossey quelques mois. Nous y fûmes comme on nous représente le premier homme encore dans le paradis terrestre, mais ayant cessé d'en jouir. C’était en apparence la même situation, et en effet une toute autre manière d'être. L'attachement, le respect, l'intimité, la confiance, ne liaient plus les élèves à leurs guides ; nous les regardions plus comme des dieux qui lisaient dans nos cœurs : nous étions moins honteux de mal faire et plus craintifs d'être accusés : nous commencions à nous cacher, à nous mutiner, à mentir. Tous les vices de notre âge corrompaient notre innocence et enlaidissaient nos jeux. La campagne même perdit à nos yeux cet attrait de douceur et de simplicité qui va au cœur. Elle nous semblait déserte et sombre ; elle s'était comme couverte d'un voile qui nous en cachait les beautés.

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  •  Article: Fanatisme

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    Le fanatisme est à la superstition, ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère. <o:p></o:p>

    Celui qui a des extases, des visions, qui prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des prophéties, est un enthousiaste ; celui qui soutient sa folie par le meurtre est un fanatique (…). <o:p></o:p>

    Il n’y a d’autre remède à cette maladie épidémique que l’esprit philosophique qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du mal; car dès que ce mal fait progrès, il faut fuir, et attendre que l’air soit purifié. Les lois et la religion ne suffisent, pas contre la peste des âmes; la religion, loin d’être pour elles un aliment salutaire, se tourne en poison dans les cerveaux infectés. Ces misérables ont sans cesse présent à l’esprit l’exemple d’Aod, qui assassine le roi Eglon; de Judith qui coupe la tête d’Holopherne en couchant avec lui; de Samuel, qui hache en morceaux le roi Agag : ils ne voient pas que ces exemples qui sont respectables dans l’antiquité, sont abominables dans le temps présent ; ils puisent leurs fureurs dans la religion même qui les condamne. <o:p></o:p>

    Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage ; c’est comme si vous lisiez un arrêt du Conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l’Esprit Saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu’ils doivent entendre. <o:p></o:p>

    Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant? <o:p></o:p>

    Ce sont d’ordinaire les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains; ils ressemblent à ce vieux de la montagne qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs, dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu’ils iraient assassiner tous ceux qu’il leur nommerait. Il n’y a eu qu’une seule religion dans le monde qui n’ait pas été souillée par le fanatisme, c’est celle des lettrés de <st1:personname productid="la Chine. Les" w:st="on">la Chine. Les</st1:personname> sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède. <o:p></o:p>

    Car l’effet de la philosophie est de rendre l’âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité.<o:p></o:p>


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  •  Chapitre XXII: Ce qui arriva en France à Candide et à Martin.

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    A peine Candide fut-il dans son auberge qu'il fut attaqué d'une maladie légère causée par ses fatigues. Comme il avait au doigt un diamant énorme, et qu'on avait aperçu dans son équipage une cassette prodigieusement pesante, il eut aussitôt auprès de lui deux médecins qu'il n'avait pas mandés, quelques amis intimes qui ne le quittèrent pas, et deux dévotes qui faisaient chauffer ses bouillons. Martin disait : « Je me souviens d'avoir été malade aussi à Paris dans mon premier voyage ; j'étais fort pauvre : aussi n'eus-je ni amis, ni dévotes, ni médecins, et je guéris ».

    Cependant, à force de médecines et de saignées, la maladie de Candide devint sérieuse. Un habitué du quartier vint avec douceur lui demander un billet payable au porteur pour l'autre monde ; Candide n'en voulut rien faire. Les dévotes l'assurèrent que c'était une nouvelle mode ; Candide répondit qu'il n'était point homme à la mode. Martin voulut jeter l'habitué par les fenêtres. Le clerc jura qu'on n'enterrerait point Candide. Martin jura qu'il enterrerait le clerc s'il continuait à les importuner. La querelle s'échauffa ; Martin le prit par les épaules et le chassa rudement ce qui causa un grand scandale, dont on fit un procès-verbal.

    Candide guérit ; et pendant sa convalescence il eut très bonne compagnie à souper chez lui. On jouait gros jeu. Candide était tout étonné que jamais les as ne lui vinssent ; et Martin ne s'en étonnait pas.<o:p></o:p>


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