• Lecture analytique 7= Tristan et Iseult chapitre 21

     Chapitre XV : Marc juché dans le Grand Pin

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    Le nain avait dit vrai : le roi n’attendit guère. Du haut de l’arbre, Marc vit Tristan franchir la palissade et sauter dans le verger : il vint droit à la fontaine et y jeta des copeaux, gravés de lettres, qui ne tardèrent pas à courir, légers, dans le canal à travers le jardin et vers la chambres des femmes. Mais Tristan, en se penchant sur le bassin de marbre pour en jeter d’autres, vit soudain, à la clarté de la lune, le visage de son oncle qui se reflétait, encadré par le feuillage, dans le miroir d’eau tranquille. En y regardant de plus près, il distingua aussi, parmi les branches, l’arc, déjà garni d’une flèche, que le roi tenait dans sa main. Ah ! s’il avait pu arrêter les copeaux dans leur fuite ! Mais non ! dans la chambre des femmes, Iseult épie leur venue et va bientôt les voir glisser au fil de l’eau. Voilà qu’elle franchit la porte de sa chambre et vient dans le verger, agile et cependant prudente, observant de côté et d’autre pour voir si elle n’était pas épiée. Or, Tristan, ce soir-là, ne vient pas à sa rencontre comme les autres nuits il ne la regarde même pas, mais il reste immobile, les yeux tournés vers l’eau du bassin, comme pour lui faire comprendre qu’il y a là quelque chose d’insolite. Cette attitude étrange de laisse pas de surprendre Iseult, elle tourne elle aussi ses regards vers la surface de l’eau et n’a pas de peine à y découvrir à son tour le reflet du visage inquiet et tourmenté de son époux. Elle s’avise alors d’une ruse bien féminine, car elle se garde de lever les yeux vers les branches de l’arbre et, afin de tirer Tristan d’embarras, s’arrange pour parler la première : « Sire Tristan, quelle folie vous prend de me mander à pareille heure ? Par  Celui qui fit le ciel et la terre, ne m’appelez plus, ni de jour ni de nuit, car, cette fois-là, je ne viendrais point. Vous le savez bien pourtant : le roi s’imagine que je vous aime de fol amour. Les barons félons lui font accroire que vous, qui êtes le rempart de son honneur, vous le bafouez sans vergogne. Ne vérité, je préférerais être brulée vive et que ma cendre fût dispersée ai vent plutôt que d’aimer un autre homme que mon seigneur. Non, Tristan, ne me mandez plus sous aucun prétexte : je n’oserais ni ne pourrais venir ; si le roi apprenait notre entrevue cette nuit, il me donnerait la mort, écartelée à quatre chevaux. Certes, vous m’êtes cher parce que vous êtes son neveu. J’ai appris de ma mère qu’il me faudrait aimer les parents de mon époux : j’observe ce précepte. Et je pense qu’une femme n’aimerait pas vraiment son seigneur si elle n’aimait également ses parents et ses proches alliés. Mais je m’en vais, car je m’attarde trop ! <o:p></o:p>

    _ Dame, pour l’amour de Dieu, écoutez-moi ! En bonne foi, à plusieurs reprises, j’ai cherché à vous rencontrer. Depuis que je suis banni de la demeure du roi, je ne sais où vous parler. J’ai grand deuil des soupçons que mon oncle fait peser sur moi : pourquoi faut-il qu’il ajoute foi à de telles calomnies ? Pourquoi faut-il qu’il croie les mensonges de ces gens que l’on a vus muets et tremblants devant le défi du Morholt ? Faites-moi la grâce, je vous en prie, de me justifier vous-même auprès de votre époux ! <o:p></o:p>

    _ Ma foi, seigneur, que m’allez-vous demander ? De le convaincre de votre loyauté ? De vous obtenir son pardon ? Ce serait provoquer en vain la colère du roi ! Pourtant, sachez bien que s’il vous pardonnait, beau sire, et qu’il oubliât sa colère, j’en serais pleine de liesse. Mais je m’en vais, car j’ai grand-peur que quelqu’un ne nous ait vu venir ici. »<o:p></o:p>

    Tristan retient encore la reine et la supplie d’intercéder pour lui auprès de Marc : « Puisque le roi me hait si fort, je partirai. Mais obtenez au moins du roi qu’il me donne de quoi racheter mes armes et mon cheval que j’ai dû mettre en gage afin de pouvoir subsister. <o:p></o:p>

    _ Par Dieu, Tristan, je m’émerveille que vous osiez me faire semblable requête. Voulez-vous donc me perdre ? » Elle s’éloigne alors, fière et digne. Tristan, feignant une vive émotion et comme chancelant, s’appuie sur le perron de marbre et dit tout haut : « Ah ! Dieu, je n’aurais jamais pensé faire un jour telle perte ni m’exiler en telle pauvreté. Las ! Je vais partir sans armes ni cheval, car j’ai mis en gage tout mon harnais et ne puis le racheter. Dieu, tu t’es détourné de moi ! Quand je serai en terre étrangère, si j’entends dire qu’un roi cherche des soudoyers pour une guerre je n’oserai souffler mot : homme nu n’a nul lieu de parler. Ah ! bel oncle, il faut que tu me connaisses bien mal pour me soupçonner ainsi de trahison ! Tu me prêtes une attitude qui est à l’opposé de mes sentiments. »<o:p></o:p>

    Le roi, dans les branches de l’arbre, se réjouit naïvement de la fidélité d’Iseult et de la loyauté de Tristan : il s’irrite contre les délateurs : « Cette fois, fait-il, je vois bien que le nain ne m’a que trop leurré : c’est pour ma plus grande confusion qu’il m’a fait monter en cet arbre. De mon neveu il m’a dit mensonge ; pour cela je le ferai pendre et aussi pour m’avoir fait concevoir de l’aversion envers ma femme. J’ai agi comme un fol, mais celui qui m’y a poussé n’attendra pas longtemps son châtiment. Si je puis tenir ce nain odieux, je lui ferai finir ses jours par le feu. » Il se répète en son cœur qu’il a foi en sa femme : il refusera de croire à l’avenir ceux qui tentent de la diffamer. Jamais, il n’ôtera sa confiance à Tristan et à Iseult : il les laissera de nouveau, en la chambre royale, aller et venir ensemble à leur guise.<o:p></o:p>

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