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    Demain, dès l'aube...

    Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
    Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
    J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
    Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

    Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
    Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
    Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
    Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

    Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
    Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
    Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
    Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.


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  •  J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs

    Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,
    Puisque je ris à peine aux enfants qui m'entourent,
    Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs ;

    Puisqu'au printemps, quand Dieu met la nature en fête,
    J'assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour ;
    Puisque je suis à l'heure où l'homme fuit le jour,
    Hélas ! et sent de tout la tristesse secrète ;

    Puisque l'espoir serein dans mon âme est vaincu ;
    Puisqu'en cette saison des parfums et des roses,
    O ma fille ! j'aspire à l'ombre où tu reposes,
    Puisque mon coeur est mort, j'ai bien assez vécu.

    Je n'ai pas refusé ma tache sur la terre.
    Mon sillon ? Le voila. Ma gerbe ? La voici.
    J'ai vécu souriant, toujours plus adouci,
    Debout, mais incline du cote du mystere.

    J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai servi, j'ai veille,
    Et j'ai vu bien souvent qu'on riait de ma peine.
    Je me suis étonne d'être un objet de haine,
    Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

    Dans ce bagne terrestre où ne s'ouvre aucune aile,
    Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
    Morne, épuise, raillé par les forçats humains,
    J'ai porté mon chainon de la chaine éternelle.

    Maintenant, mon regard ne s'ouvre qu'a demi ;
    Je ne me tourne plus même quand on me nomme ;
    Je suis plein de stupeur et d'ennui, comme un homme
    Qui se lève avant l'aube et qui n'a pas dormi.

    Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,
    Répondre a l'envieux dont la bouche me nuit.
    O Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit,
    Afin que je m'en aille et que je disparaisse !


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  •  Elle était déchaussée, elle était décoiffée,

    Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants;
    Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
    Et je lui dis: Veux-tu t'en venir dans les champs?

    Elle me regarda de ce regard suprême
    Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
    Et je lui dis: Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
    Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds?

    Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive;
    Elle me regarda pour la seconde fois,
    Et la belle folâtre alors devint pensive.
    Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois!

    Comme l'eau caressait doucement le rivage!
    Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
    La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
    Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.

    Mont.-l'Am., juin 183... 


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  •  La mer, soulevée par le vent, grossissait à chaque instant, et tout le canal compris entre cette île et l'île d'Ambre n'était qu'une vaste nappe d'écumes blanches, creusée de vagues noires et profondes. Ces écumes s'amassaient dans le fond des anses à plus de six pieds de hauteur, et le vent, qui en balayait la surface, les portait par-dessus l'escarpement du rivage à plus d'une demi-lieue dans les terres. À leurs flocons blancs et innombrables qui étaient chassés horizontalement jusqu'au pied des montagnes, on eût dit d'une neige qui sortait de la mer. L'horizon offrait tous les signes d'une longue tempête; la mer y paraissait confondue avec le ciel. Il s'en détachait sans cesse des nuages d'une forme horrible qui traversaient le zénith avec la vitesse des oiseaux, tandis que d'autres y paraissaient immobiles comme de grands rochers. On n'apercevait aucune partie azurée du firmament une lueur olivâtre et blafarde éclairait seule tous les objets de la terre, de la mer, et des cieux.

    Dans les balancements du vaisseau, ce qu'on craignait arriva. Les câbles de son avant rompirent; et comme il n'était plus retenu que par une seule aussière il fut jeté sur les rochers à une demi-encablure du rivage. Ce ne fut qu'un cri de douleur parmi nous. Paul allait s'élancer à la mer, lorsque je le saisis par le bras: « Mon fils, lui dis-je, voulez-vous périr ? - Que j'aille à son secours, s'écria-t-il, ou que je meure! »
    Comme le désespoir lui ôtait la raison, pour prévenir sa perte, Domingue et moi lui attachâmes à la ceinture une longue corde dont nous saisîmes l'une des extrémités. Paul alors s'avança vers le Saint-Géran, tantôt nageant, tantôt marchant sur les récifs. Quelquefois il avait l'espoir de l'aborder, car la mer, dans ses mouvements irréguliers, laissait le vaisseau presque à sec, de manière qu'on en eût pu faire le tour à pied; mais bientôt après, revenant sur ses pas avec une nouvelle furie, elle le couvrait d'énormes voûtes d'eau qui soulevaient tout l'avant de sa carène, et rejetaient bien loin sur le rivage le malheureux Paul, les jambes en sang, la poitrine meurtrie, et à demi noyé. A peine ce jeune homme avait-il repris l'usage de ses sens qu'il se relevait et Ë retournait avec une nouvelle ardeur vers le vaisseau, que la mer cependant entrouvrait par d'horribles secousses. Tout l'équipage, désespérant alors de son salut, se précipitait en foule à la mer, sur des vergues, des planches, des cages à poules, des tables, et des tonneaux.
    On vit alors un objet digne d'une éternelle pitié: une jeune demoiselle parut dans la galerie de la poupe du Saint-Géran, tendant ses bras vers celui qui faisait tant d'efforts pour la joindre. C'était Virginie. Elle avait reconnu son amant à son intrépidité. La vue de cette aimable personne, exposée à un si terrible danger, nous remplit de douleur et de désespoir. Pour Virginie, d'un port noble et assuré, elle nous faisait signe de la main, comme nous disant un éternel adieu. Tous les matelots s'étaient jetés à la mer. Il n'en restait plus qu'un sur le pont, qui était tout nu et nerveux comme Hercule. Il s'approcha de Virginie avec respect :
    nous le vîmes se jeter à ses genoux, et s'efforcer même de lui ôter ses habits; mais elle, le repoussant avec dignité, détourna de lui sa vue. On entendait aussitôt ces cris redoublés des spectateurs: « Sauvez-la, sauvez-la; ne la quittez pas!»
    Mais dans ce moment une montagne d'eau d'une effroyable grandeur s'engouffra entre l'île d'Ambre et la côte, et s'avança en rugissant vers le vaisseau, qu'elle menaçait de ses flancs noirs et de ses sommets écumants. A cette terrible vue le matelot s'élança seul à la mer; et Virginie, voyant la mort inévitable, posa une main sur ses habits, l'autre sur son cœur, et levant en haut des yeux sereins, parut un ange qui prend son vol vers les cieux.
    O jour affreux! hélas! tout fut englouti.<o:p></o:p>


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  •  Chapitre XXXVI : La mort des amants

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    Le vent fait rage, il soulève les vagues, la mer s’émeut jusqu’en ses profondeurs, le ciel s’assombrit et une brume épaisse s’étend sur les flots noirs. Il pleut, il grêle ; au ciel s’amassent les nuées, sur le bateau boulines et haubans se brisent avec fracas. On amène le mât et l’on avance en louvoyant avec le vent et la lame. Iseult la blonde, saisie par le spectacle de cette tempête, s’adresse à Tristan comme s’il pouvait l’entendre : « Dieu ne veut pas me laisser vivre assez pour te revoir, ô mon ami ! Il a décidé que je périrais noyée dans la mer. Tristan, si j’avais pu te parler encore une fois, je n’aurais fait aucun cas de ma mort. Mais il ne dépend pas de ma volonté que je sois près de toi à cette heure ; si Dieu l’avait permis, je serais déjà occupée à soulager ton mal. Ami, c’est ici la fin de mon rêve ! Je pensais mourir dans tes bras et reposer avec toi dans un même tombeau. Hélas ! c’est encore une illusion qu’il nous faut perdre ! »<o:p></o:p>

    Pendant deux jours, l’orage et la tempête sévirent sur la mer ; le troisième, le vent s’apaisa et le beau temps revint. Kaherdin, en regardant au loin, vit surgir dans la brume les falaises de la côte bretonne. Tout heureux, il fit déployer au plus haut la voile blanche afin d’annoncer à Tristan la bonne nouvelle : Iseult la blonde arrive ! On était à la fin du délai de quarante jours environ que Kaherdin avait fixé à Tristan pour la durée totale du voyage. Comble d’infortune : voici que le vent mollit, le soleil chauffe. La mer se met au calme plat, la nef de se meut ni d’un côté ni de l’autre et se laisse bercer par le clapotis des vagues. Les marins en sont exaspérés : la terre est là sous leurs yeux, toute proche, et nulle brise ne les y pousse. Les voilà dans le pire embarras.<o:p></o:p>

    Durant ce temps, Tristan dolent et las, souvent se plaint, souvent soupire pour Iseult qu’il désire tant. Il tord ses mains et ses larmes coulent. En ce chagrin, en cette angoisse, il voit sa femme s’avancer devant lui ; elle s’avise d’un perfide artifice et lui dit : « Voici Kaherdin qui arrive ! J’ai aperçu sa nef au loin sur la mer. Je suis sûre que c’est la sienne. Dieu veuille qu’il vous apporte une nouvelle dont vous aurez du réconfort ! » A ces mots, Tristan sursaute et dit : « Belle amie, êtes-vous bien sûre que ce soit la nef de Kaherdin ?_ N’en doutez point ; je l’ai bien reconnue. _ Dites-moi, je vous prie, ne me le cachez pas : de quelle couleur est la voile qui flotte sur sa vergue ? » Iseult répond d’une voix qu’elle veut assurée : « La voile est noire ! » Tristan ne réponds pas un mot. Il se retourne vers le mur, puis il dit : « Iseult, vous n’avez pas voulu venir auprès de moi ! Pour votre amour, il me faut aujourd’hui mourir ! » Puis, après un court instant, il ajoute d’une voix éteinte : « Je ne puis plus longtemps retenir ma vie. » Par trois fois il prononça : « Iseult amie ! » ; à la quatrième, il rendit l’âme.<o:p></o:p>

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