• LA n° 18 musset= Lorenzaccio acte 3 scène 4

     ACTE II, SCENE IV Au palais des Soderini.

    MARIE SODERINI, CATHERINE, LORENZO, assis.

     

     

    CATHERINEtenant un livre.
    Quelle histoire vous lirai-je, ma mère ?

    MARIE
    Ma Cattina se moque de sa pauvre mère. Est-ce que je comprends rien à tes livres latins ?

    CATHERINE
    Celui-ci n'est point en latin, mais il en est traduit. C'est l'histoire romaine.

    LORENZO
    Je suis très fort sur l'histoire romaine. Il y avait une fois un jeune gentilhomme nommé Tarquin le fils.

    CATHERINE
    Ah! c'est une histoire de sang.

    LORENZO
    Pas du tout; c'est un conte de fées. Brutus était un fou, un monomane, et rien de plus. Tarquin était un duc plein de sagesse, qui allait voir en pantoufles si les petites filles dormaient.

    CATHERINE
    Dites-vous aussi du mal de Lucrèce ?

    LORENZO
    Elle s'est donné le plaisir du péché et la gloire du trépas. Elle s'est laissé prendre toute vive comme une alouette au piège, et puis elle s'est fourré bien gentiment son petit couteau dans le ventre.

    MARIE
    Si vous méprisez les femmes, pourquoi affectez-vous de les rabaisser devant votre mère et votre soeur ?

    LORENZO
    Je vous estime, vous et elle. Hors de là, le monde me fait horreur.

    MARIE
    Sais-tu le rêve que j'ai eu cette nuit, mon enfant ?

    LORENZO
    Quel rêve?

    MARIE
    Ce n'était point un rêve, car je ne dormais pas. J'étais seule dans cette grande salle, ma lampe était loin de moi, sur cette table auprès de la fenêtre. Je songeais aux jours où j'étais heureuse, aux jours de ton enfance, mon Lorenzino. Je regardais cette nuit obscure, et je me disais: il ne rentrera qu'au jour, lui qui passait autrefois les nuits à travailler. Mes yeux se remplissaient de larmes, et je secouais la tête en les sentant couler. J'ai entendu tout d'un coup marcher lentement dans la galerie ; je me suis retournée, un homme vêtu de noir venait à moi, un livre sous le bras : c'était toi, Renzo: " Comme tu reviens de bonne heure ! " me suis-je écriée. Mais le spectre s'est assis auprès de la lampe sans me répondre ; il a ouvert son livre, et j'ai reconnu mon Lorenzino d'autrefois.

    LORENZO
    Vous l'avez vu ?

    MARIE
    Comme je te vois.

    LORENZO
    Quand s'en est-il allé ?

    MARIE
    Quand tu as tiré la cloche ce matin en rentrant.

    LORENZO
    Mon spectre, à moi ! Et il s'en est allé quand je suis rentré ?

    MARIE
    Il s'est levé d'un air mélancolique, et s'est effacé comme une vapeur du matin.

    LORENZO
    Catherine, Catherine, lis-moi l'histoire de Brutus.

    CATHERINE
    Qu'avez-vous ? vous tremblez de la tête aux pieds.

    LORENZO
    Ma mère, asseyez-vous ce soir à la place où vous étiez cette nuit, et si mon spectre revient, dites-lui qu'il verra bientôt quelque chose qui l'étonnera.



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